François Gaillard | Sur Gucci
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Sur Gucci

C’est peu dire que mon impression immédiate à la vue du premier opus d’Alessandro Michele chez Gucci, il y a deux ans déjà, ne fut pas enthousiaste. Deux aspects fondamentaux du style du nouveau directeur artistique ont d’emblée rebuté mon goût pour la sobriété et une originalité mesurée. L’accumulation tous azimuts de signes esthétiques noyant l’individu jusqu’à en confondre le genre ne s’accorde pas avec ma militance pour une mode au service de la personnalité. Le passéisme qui teinte les collections masculines comme féminines du créateur – même s’il mêle les références et télescope les époques dans l’esprit éclectique d’aujourd’hui – ne témoigne pas d’une créativité confiante et prospective, porteuse de l’élan vital que je chéris tant dans la mode. Sans renier mes convictions ni mes penchants, à la lumière d’un excellent portrait du créateur signé Caroline Rousseau dans le magazine M du Monde, j’ai révisé mon jugement, touché par l’irrécusable sincérité du styliste dans une quête sans concession de poésie et d’humanité.

« Peut-être la mode est-elle déjà morte puisqu’on fait la même chose depuis soixante dix ans » – Alessandro Michele

En fait, les collections d’Alessandro Michele ne sont nostalgiques que pour quérir l’émotion du souvenir et puiser dans le passé les ingrédients poétiques d’un monde meilleur. Pétries de références culturelles de tous bords, elles sont un hymne vibrant à la culture si précieuse contre la futilité et la barbarie ambiantes. Prônant d’autres valeurs que les provocations putassières couramment affichées, le style fleuri – aux sens littéral et imagé – d’Alessandro Michele propose une séduction basée sur la culture et son expression au travers du vêtement. Avec humour et indulgence, le créateur réhabilite également la coquetterie dans tout ce qu’elle a d’avenant et d’altruiste, et ce faisant l’adjectif endimanché dans son acception originelle, celle d’une parenthèse de paix et de bienséance. Peut-être les décalages de ses tenues dénoncent-ils alors la dureté de notre temps par comparaison avec une époque, pas si lointaine, où la modestie et l’affabilité déterminaient davantage les usages vestimentaires que la fatuité et le narcissisme. Derrière la profusion baroque et la surcharge apparemment compulsive de décor se cachent en réalité une véritable quête de sens et un humanisme généreux. Accessoirement, l’approche rétrospective du designer a aussi le mérite de légitimer, auprès des jeunes notamment, le vintage comme une alternative responsable et qualitative à la mode jetable. La clarté de son inspiration, enfin, ne masque pas ses sources et, tandis que nombre de ses confrères plagient en catimini certaines trouvailles de leurs aînés, au moins Alessandro Michele assume-t-il sans vergogne son héritage.

Le danger de l’excentricité qui découle de ses anachronismes est qu’elle soit récupérée par les incultes et détournée à des fins purement vaniteuses. Ignorant tout des allusions dont le styliste érudit truffe chacune de ses créations, ces inconditionnels au premier degré interprètent le décalage du style de Gucci comme un simple désir de paraître. Toute velléité moralisatrice mise à part, ce contre-sens – en plus de ne pas honorer le talent du designer à sa juste valeur – risque de déformer l’image de la marque et de l’entraîner dans la caricature et la vulgarité. Tout ce qu’un créateur de la loyauté d’Alessandro Michele peut réprouver. De façon plus positive, le succès de la griffe s’explique sans doute également par la fraîcheur qui transparaît des collections, l’authenticité et la spontanéité qui en émanent, le plaisir communicatif visiblement pris par leur auteur à leur conception.

« Si vous pensez que les concepts, les mots, la poésie ne font pas partie de la mode…vous l’enfermez dans une bulle et vous la tuez » – Alessandro Michele

A titre personnel, je ne peux qu’être ému par les citations littéraires et philosophiques dont Alessandro Michele émaille les textes de présentation de ses défilés. Même si elle s’adresse à un public restreint – du reste pas forcément le plus réceptif, cette volonté de réconcilier la mode et les mots et par là de donner du sens à ce que d’aucuns cataloguent sans ambages comme superficiel, me va droit au cœur, partageant la même ambition, comme en témoigne ce blog. L’essentiel n’est pas d’avoir des goûts similaires ; au contraire, la diversité des sensibilités est source de richesse pour la mode et facteur de tolérance sociale. Mais une passion commune pour la mode nourrie par l’intime conviction qu’elle peut embellir le monde est un lien puissant entre deux êtres, si différents soient-ils. Distinctive par les apparences, la mode unit ceux qu’elle passionne vraiment.

François Gaillard

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D’aussi loin qu’il m’en souvienne, la mode m’a toujours émerveillé. Par ses effets de style, bien sûr, dont j’admirais les prodiges pour embellir femmes et hommes de mon entourage, mais aussi par son pouvoir roboratif, que, très tôt, je ressentis comme un puissant catalyseur de confiance. Cette force vitale de la mode n’a jamais cessé de me fasciner, nourrissant ma passion pour la mode plus encore peut-être que ses prouesses créatives. Malgré l’expérience et les années, je continue de m’interroger sur l’origine de cette vertu quasi magique et plus largement sur le sens de la mode comme vecteur d’expression individuelle et terrain de complicité collective.

Las, les intellectuels, trop absorbés par d’autres questions plus essentielles, ne se sont pas beaucoup préoccupés du sujet et leurs trop rares réponses m’ont souvent laissé sur ma faim par la froideur de leur analyse. La presse, dépossédée de tout sens critique et même de son objectivité déontologique à l’égard d’un de ses principaux créanciers, réserve à la mode un traitement au mieux purement informatif, et plus souvent léger, à visée commerciale.

L’envie d’exprimer mes idées longtemps ressassées, mes convictions comme mes doutes, est donc à l’origine de ce site. Puisse-t-elle rencontrer un public lui aussi en proie au questionnement et demandeur de réflexion sur la mode.

Pour autant, il n’est pas question de renoncer ici au plaisir de la mode ! Trois produits, choisis en toute sincérité et scrupuleusement légendés dans l’esprit d’une consommation elle aussi réfléchie, illustrent périodiquement mon goût. Avec passion. Sans déraison.