François Gaillard | Mots de mode
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Mots de mode

J’ai trouvé l’expression donnant son titre à ce blog dans un texte de Jean Genet, me semble-t-il. Je n’en suis pas certain. Mais il me plait d’en attribuer la paternité à ce génie de la littérature et de la poésie et je n’ai jamais cherché à la démentir. Elle me séduit si instantanément que je me l’appropriai d’emblée, au point d’en oublier l’exacte origine. Non par malhonnêteté intellectuelle, mais comme une révélation tant elle sied à merveille à ma passion conjuguée pour les mots et la mode. La voici ici mise en pratique pour décrypter la mode sous divers angles, ou pour explorer des questions psychologiques ou sociétales par le prisme de la mode. L’emprise de cette dernière sur la société contemporaine me paraît telle que ses interférences sont multiples avec une infinité de sujets. A moins que ma passion pour la mode ne tourne à l’obsession. Ou qu’une culpabilité sournoise ne m’incite à comprendre cette fascination pour tenter de la justifier.

Les mots comme les vêtements traduisent une intériorité, la tâche dévolue aux premiers dépassant largement les capacités des seconds. Mais ceux-ci, avec leurs codes stylistiques et leurs interactions, forment un langage, certes limité, mais spontané sinon objectif, à même d’exprimer la sensibilité réelle ou relative. Tous deux ont aussi à voir avec la présentation, l’envie de bien paraître et d’extérioriser des idées ou des affects dans un ordre voire une esthétique intelligible qui, par tout le respect d’autrui qu’il induit, définit selon moi l’élégance. Je crois également à la force des mots pour donner aux vêtements une dimension plus poétique qui ajoute à leur charme. L’appellation des couleurs, souvent imagée ; les noms des matières, forts de leur prestige. Mais aussi tout le vocabulaire technique révélant, au travers de descriptifs précis, l’admirable savoir-faire de la confection vestimentaire, au mieux considéré comme une évidence, au pire totalement ignoré et passé sous silence. Ce que Roland Barthes nommait « le vêtement écrit ». Las, à l’ère de la vitesse et de l’immédiateté, les explications sont perçues comme superfétatoires au profit du seul résultat visuel, parfois bien trompeur. N’est-il pas aussi plus agréable de comprendre ce que l’on porte et pourquoi on le porte, plutôt que d’endosser bêtement une image, une étiquette ? A moins que l’ignorance ne serve quelques intérêts…

« S’il m’était permis de choisir dans le fatras des livres qui seront publiés cent ans après ma mort…je prendrais un journal de mode pour voir comment les femmes s’habilleront un siècle après mon trépas. Et ces chiffons m’en diraient plus sur l’humanité future que tous les philosophes, les romanciers, les prédicateurs, les savants » – Anatole France

Pour autant, les mots plaqués sur les vêtements m’ont toujours semblé déplacés et s’apparenter alors à des images calligraphiques réductrices. Autant, séparément, les langages verbal et vestimentaire se complètent à merveille, autant superposés, ils donnent une impression de lourdeur voire d’ostentation verbale coupant court à toute intention relationnelle. Ainsi placardés, les mots en sont réduits à leur plus directe expression, sans l’éclairage d’un contexte apportant nuances et ouverture. Les vêtements, eux, s’en trouvent dépossédés de tout le mystère concourant au charme de leur porteur et invitant à l’échange. Moins que tout, j’affectionne l’exhibition d’un nom de marque, qui brise bien sûr toute la magie d’une tenue et de son élaboration, et qui met à distance autrui avec les armes de la dite griffe.

Je me garderai bien, surtout, de tout conseil. Matière mouvante et versatile, la mode peut renier ses principes les plus arrêtés en l’espace de quelques années et passer d’une esthétique à son contraire le plus radical. « Toute théorie s’expose aux rires des dieux » avertissait Soren Kierkegaard. D’ailleurs, de plus en plus, trouve-t-on, au sein d’une même saison, des contradictions permettant l’expression de goûts divers. En outre, ma conception de la mode comme médium d’expression personnelle est aux antipodes de cette vision scolastique de la chose vestimentaire. Inciter au plaisir de la mode, oui. Faire partager mon enthousiasme pour certaines de ses créations, très volontiers. Mais dispenser doctement des leçons d’élégance me paraît aussi sot que prétentieux, aussi vain qu’illusoire.

François Gaillard

 

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D’aussi loin qu’il m’en souvienne, la mode m’a toujours émerveillé. Par ses effets de style, bien sûr, dont j’admirais les prodiges pour embellir femmes et hommes de mon entourage, mais aussi par son pouvoir roboratif, que, très tôt, je ressentis comme un puissant catalyseur de confiance. Cette force vitale de la mode n’a jamais cessé de me fasciner, nourrissant ma passion pour la mode plus encore peut-être que ses prouesses créatives. Malgré l’expérience et les années, je continue de m’interroger sur l’origine de cette vertu quasi magique et plus largement sur le sens de la mode comme vecteur d’expression individuelle et terrain de complicité collective.

Las, les intellectuels, trop absorbés par d’autres questions plus essentielles, ne se sont pas beaucoup préoccupés du sujet et leurs trop rares réponses m’ont souvent laissé sur ma faim par la froideur de leur analyse. La presse, dépossédée de tout sens critique et même de son objectivité déontologique à l’égard d’un de ses principaux créanciers, réserve à la mode un traitement au mieux purement informatif, et plus souvent léger, à visée commerciale.

L’envie d’exprimer mes idées longtemps ressassées, mes convictions comme mes doutes, est donc à l’origine de ce site. Puisse-t-elle rencontrer un public lui aussi en proie au questionnement et demandeur de réflexion sur la mode.

Pour autant, il n’est pas question de renoncer ici au plaisir de la mode ! Trois produits, choisis en toute sincérité et scrupuleusement légendés dans l’esprit d’une consommation elle aussi réfléchie, illustrent périodiquement mon goût. Avec passion. Sans déraison.