Moditation 1
Quatre mois après l’expérience du confinement, j’avoue humblement en être encore à méditer sur ce que j’hésite à appeler une épreuve, tant elle fut douloureuse par certains côtés et délectable par d’autres. Plutôt casanier, je me suis facilement résigné à cette vie claustrale. Certes, un minimum d’activité professionnelle m’occupait encore une partie de la journée et me sortait – par le truchement du téléphone – de l’isolement. Mais j’ai également trouvé un grand secours dans ce qui m’entoure au quotidien, auquel je ne prenais plus autant attention, et que j’ai retrouvé avec bonheur. Ce mobilier et ces objets évocateurs de l’Europe du début du XXème siècle qui me fait tant rêver par la richesse culturelle et artistique qu’elle a connue et tous les grands esprits qui l’ont peuplée. Ces reproductions d’œuvres d’artistes qui, après que je les ai découverts, ne m’ont plus jamais quitté. Ces manuels dans lesquels je me suis replongé pour revivre un moment d’histoire ou le destin d’un artiste ou d’un courant artistique. Ces tomes de la Pléiade où j’ai déniché ci une préface, là une correspondance, une œuvre « mineure », encore inexplorées. Les dictionnaires où se perdre comme en des labyrinthes et oublier le cauchemar du présent. Mes disques enfin, dont la énième écoute offre toujours une surprise, une émotion jusqu’alors inconnue en plus de l’inaltérable émerveillement face à tant de génie et d’inspiration. Autant de viatiques pour surmonter la noirceur de la réalité et de moyens d’évasion dans des contrées imaginaires où j’ai toujours trouvé plus de satisfaction que sur des terres jamais aussi idéales.
Durant cette période de réclusion, mes armoires demeurèrent closes, mes vêtements enfermés eux aussi : sans occasion professionnelle ni sortie personnelle, je m’en tins aux quelques pièces pratiques, confortables et stylistiquement neutres qu’on nomme basiques dans le jargon et que j’ai coutume de porter pour rester chez moi. Alors que je me tournais vers mon univers familier pour y puiser du réconfort, je dédaignais soudain cette garde-robe pourtant élaborée avec toute la science que m’ont inculquée mes années de travail dans la mode et une quête de perfection sans cesse réinitialisée par l’évolution des tendances. Ce que je pensais être le pur reflet vestimentaire de ma personnalité n’était donc qu’une image fabriquée pour une vie sociale et urbaine codifiée. Avec le déconfinement, puis les vacances, j’ai rouvert mes placards et porté avec plaisir des tenues plus seyantes. Mais quelque chose en moi s’était brisé. Cette course à une prétendue innovation, à un soi-disant inédit, m’est finalement apparue aussi vaine que fallacieuse. Toutes ces histoires inventées chaque saison, ces pseudo révélations d’une vérité enfin mise au jour, ces sornettes et autres billevesées pour flatter à bon compte les égos vaniteux et faire consommer encore et encore sonnent désormais à mon oreille comme la musique dissonante d’un vieux piano désaccordé. J’ai en somme cessé de croire au miracle de la création de mode qui, entre les griffes (sic) de la finance et du marketing, a perdu toute authenticité.
« La beauté sauvera le monde » – Fiodor Dostoïevski
Pour autant, ma foi en la mode n’a pas faibli. Certes, les plus grands talents ne sont pas les plus médiatisés ni les plus récompensés. N’en demeurent pas moins des marques, des créateurs œuvrant avec sincérité et modestie ou un don certain, qui suscitent mon respect ou mon admiration et me font encore espérer ou rêver. A défaut d’un véritable rôle social de la mode qui, malheureusement, tend plus souvent à diviser qu’à rassembler, il faut tout de même lui reconnaître la faculté d’être un passionnant miroir de son époque. Précieux legs aux générations qui suivent, elle délivre un riche enseignement sur la vie, les goûts et aussi les tourments de ses contemporains. Sans doute les observateurs de demain verront-ils dans la folie mortifère de ce début de troisième millénaire les signes annonciateurs d’un effondrement causé par un minuscule virus. Même faussée par la surexposition médiatique et la marchandisation de soi sur les réseaux sociaux, l’apparence vestimentaire recèle toujours selon moi une part de vérité. D’ailleurs, si elle n’attire pas autant les regards, interpelle moins posée sur un mannequin que portée, suspendue sur un cintre plutôt qu’en défilé, sous un visage masqué que sous un visage découvert, c’est bien signe qu’une résonnance existe entre la personnalité et son look. Puisse ce malheur encourager chacun – créateurs comme consommateurs – à plus d’honnêteté, de courage et de transparence dans ses choix. Enfin, la mode reste pour moi un bien, un cadeau que s’offre l’humanité, une nécessité même pour la beauté qu’elle peut apporter au quotidien. Bien sûr, cette dernière est subjective ; mais cette subjectivité laisse justement suffisamment de liberté pour que chacun s’y retrouve selon sa sensibilité. Plus vertueuse, plus généreuse de sa création et de sa qualité et moins polluée par la morgue de ses grands noms, la mode peut certainement améliorer bien-être individuel et climat social.
François Gaillard