François Gaillard | La confusion des saisons
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La confusion des saisons

Le réchauffement climatique aurait-il contaminé la mode ? Sans doute a-t-il induit – et c’est bien logique – une relative acclimatation de la silhouette à la plus grande douceur ambiante. Mais d’autres facteurs me paraissent également responsables d’une certaine confusion dans le registre vestimentaire et de sa simplification – notamment quant aux matières – tendant vers sa version la moins riche, l’été.

Dans la rue, tee-shirts et jeans sont à présent l’incontournable uniforme par grand froid comme aux beaux jours. Depuis quelques temps, les chaussettes à ras la cheville laissent le mollet d’autant plus découvert que les pantalons ont sensiblement raccourci. Les bonnets coiffent les têtes même en été. Pour le consommateur lambda, le coton semble jouer le rôle de matière naturelle de référence, toutes saisons confondues, au détriment de la soie, du lin et surtout de la laine apparemment moins en vogue auprès des jeunes. Cet appauvrissement matériel est particulièrement visible à la mi-saison quand les conditions de la saison finissante tardent à se dissiper et que les signes de la suivante peinent à s’installer. La réponse vestimentaire du quidam à ces atermoiements du climat est alors souvent radicale dans un sens ou un autre, carrément hivernale ou exagérément estivale. Elle ne profite pas de toute la subtilité que le savoir-faire des filateurs et tisseurs peut offrir aux marques. Dans les collections elles-mêmes, le coton est omniprésent, y compris l’hiver pour des pièces pourtant conçues pour protéger du froid et des intempéries comme les manteaux et les parkas. Dans les vestiaires hivernaux officiels proposés par les marques, le tee-shirt a maintenant une place établie, au même titre que le jean et le chino. Inversement, la dernière lubie des créateurs est d’importer dans leurs collections estivales des matières aussi emblématiques de l’hiver que la fourrure ou le cachemire. Il faut dire que celles-ci sont présentées lors des défilés en juin pour les hommes et septembre pour les femmes quand l’été se termine et qu’elles seront en boutique pour certaines dès le mois de décembre suivant, alors que les frimas n’ont pas disparu de nos contrées septentrionales. De quoi y perdre son latin. Sans parler des collections croisières, pré-collections et autres capsules et réassorts pronto débités à longueur d’année où, sous prétexte d’émancipation créative, les stylistes font fi des contingences pratiques. L’ensemble de l’offre devient finalement un vaste bazar de fripes plutôt légères dénué de toute considération saisonnière, donnant l’impression d’une garde-robe avant tout fun et accessoirement utilitaire. Comme si la contrainte climatique pouvait gâcher le plaisir de la mode.

« Jamais la collection n’a été plus jolie, Madame ; nous avons des tissus imbattables » – Colette

A l’ère du virtuel et du tout visuel, il n’y a rien de surprenant à constater une certaine méconnaissance des matières au profit des codes stylistiques, eux au contraire très bien assimilés par le public. Leurs caractéristiques thermiques mises à part, le rôle des matières se ramène alors principalement à matérialiser une forme et supporter une teinte. Et encore ! Les différences entre les tissus, leurs tombers et leurs rendus des couleurs peinent à marquer l’œil des néophytes. Tout au plus cherche-t-on, dans les collections bon marché – il est vrai, avec une remarquable ingéniosité – à imiter les aspects et touchers des matières nobles comme la fourrure, la peau lainée ou le cachemire, sans en égaler bien sûr les propriétés. Cette indifférence aux matières démontre aussi le caractère éminemment urbain de la mode, où la fonction protectrice du vêtement est relativisée voire franchement ignorée face au confort du chauffage et de la climatisation généralisés. Devant les dangers qui menacent la planète, pareille attitude manque singulièrement de responsabilité. Au même titre qu’on nous exhorte à trier les déchets et autres gestes écologiques, ne devrait-on pas aussi inciter à diminuer le chauffage et porter des vêtements plus chauds en intérieur ? N’y a-t-il pas également un plaisir à choisir sa tenue en fonction de la météo et de la température du jour, une jouissance de se sentir abrité contre les averses ou le froid et au contraire léger et libéré sous un soleil caniculaire ? Retrouver davantage de naturel et de pragmatisme dans les collections comme dans les goûts et les habitudes vestimentaires des consommateurs contribuerait certainement à redonner un peu de sagesse à cette mode en passe de devenir « hors sol ».

François Gaillard

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D’aussi loin qu’il m’en souvienne, la mode m’a toujours émerveillé. Par ses effets de style, bien sûr, dont j’admirais les prodiges pour embellir femmes et hommes de mon entourage, mais aussi par son pouvoir roboratif, que, très tôt, je ressentis comme un puissant catalyseur de confiance. Cette force vitale de la mode n’a jamais cessé de me fasciner, nourrissant ma passion pour la mode plus encore peut-être que ses prouesses créatives. Malgré l’expérience et les années, je continue de m’interroger sur l’origine de cette vertu quasi magique et plus largement sur le sens de la mode comme vecteur d’expression individuelle et terrain de complicité collective.

Las, les intellectuels, trop absorbés par d’autres questions plus essentielles, ne se sont pas beaucoup préoccupés du sujet et leurs trop rares réponses m’ont souvent laissé sur ma faim par la froideur de leur analyse. La presse, dépossédée de tout sens critique et même de son objectivité déontologique à l’égard d’un de ses principaux créanciers, réserve à la mode un traitement au mieux purement informatif, et plus souvent léger, à visée commerciale.

L’envie d’exprimer mes idées longtemps ressassées, mes convictions comme mes doutes, est donc à l’origine de ce site. Puisse-t-elle rencontrer un public lui aussi en proie au questionnement et demandeur de réflexion sur la mode.

Pour autant, il n’est pas question de renoncer ici au plaisir de la mode ! Trois produits, choisis en toute sincérité et scrupuleusement légendés dans l’esprit d’une consommation elle aussi réfléchie, illustrent périodiquement mon goût. Avec passion. Sans déraison.