François Gaillard | La mode et les notes
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La mode et les notes

Le rêve d’unir mes deux plus anciennes passions, la musique et la mode, ne m’a jamais quitté. Si je nourris toujours cet étrange dessein, c’est bien que toutes deux cohabitent en moi en parfaite harmonie, m’apportant l’une et l’autre mes émotions les plus profondes ou les plus joyeuses. Pourtant, j’ai depuis longtemps constaté l’hétérogénéité de ce drôle de couple dans l’exercice de ma profession comme dans la fréquentation des salles de concerts. Là, le public n’honore plus ses idoles du port reconnaissant de toilettes festives. Les artistes classiques n’accordent que peu d’importance à leur tenue de scène, se contentant la plupart du temps d’un costume noir conventionnel pour les hommes, d’une robe de soirée plus ou moins seyante et souvent désuète pour les femmes. Tout juste ai-je glané, au détour d’interviews lues dans la presse ou entendues à la radio, quelques anecdotes sur la maniaquerie d’Herbert von Karajan pour son frac, le penchant de Lang Lang pour des vêtements de marques un peu voyants ou la complicité de Jean-Efflam Bavouzet avec un styliste dont j’avoue avoir oublié le nom. L’unique point de contact entre la musique classique et la mode se produit donc lors de certains défilés dont l’accompagnement musical reprend, souvent en les mêlant à des sons plus contemporains, des airs connus du répertoire. La musique classique méconnue et probablement présumée conservatrice voire surannée par les créateurs de mode, leur principale inspiration musicale vient du rock, d’ailleurs plus pour sa soi-disant rébellion et la panoplie qui va avec que réellement pour sa musique. Curieuse alliance tout de même entre un genre musical tenu pour contestataire de la bourgeoisie et des propositions vestimentaires souvent très onéreuses, mais dont chacun tire un avantageux parti : tandis que le rock redore son blason avec la caution de directeurs artistiques experts du bon goût et de l’air du temps, la mode profite de la popularité des chanteurs de rock pour toucher son cœur de cible, les jeunes.

« Lieues après lieues, la même phrase mélodique chantait dans ma mémoire sans  que je puisse m’en délivrer. Je lui découvrais sans cesse des charmes nouveaux. Très lâche au début, il me semblait qu’elle entortillait progressivement son fil, comme pour dissimuler l’extrémité qui la terminerait » – Claude Lévi-Strauss

Il est vrai que la musique et la mode éveillent des sens différents – l’ouïe pour la musique, la vue et le toucher pour la mode – et que la première incline plutôt à l’introspection et au ressenti intime alors que la seconde incite à s’ouvrir au monde et se lier à l’autre. Quand l’une nous ramène dans le passé et nous invite au plaisir a priori stérile du ressassement, l’autre nous pousse vers un prétendu avenir et nous exhorte au changement incessant. En apparence, du moins, car en réalité la musique, même composée il y a deux ou trois siècles, conserve aujourd’hui toute sa pertinence par la permanence des affects qu’elle évoque et engendre. Et la mode, à quelques détails près, reproduit essentiellement des modèles hérités du passé. C’est d’ailleurs ainsi que j’appréhende l’une et l’autre, comme deux formes de langage inventées il y a fort longtemps par l’homme, et inlassablement remaniées, retravaillées, réinterprétées. Loin d’être pour moi antinomiques, mode et musique m’apportent un précieux équilibre, l’une m’insufflant l’élan vital et l’ouverture au monde qui tendent par nature à me faire défaut, l’autre m’emportant dans de célestes ou ténébreuses contrées imaginaires où je me ressource secrètement. Les deux se complètent également par la sensualité et le sens qu’elles donnent respectivement à ma vie. La danse, que j’affectionne presqu’autant, me touche particulièrement lorsque, réunissant les deux disciplines, des costumes recherchés subliment les corps mus par les sonorités. Enfin, c’est par les mots qu’inconsciemment je relie mode et musique. Tout le vocabulaire commun aux deux registres me renvoie automatiquement de l’une à l’autre : gammes, couleurs, tons, tonalités, toucher, mesures etc. Dans un contexte comme dans l’autre, tous ces termes résonnent en moi avec un écho, suscitant alors un plaisir double inattendu. Là est aussi la magie des mots.

François Gaillard

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D’aussi loin qu’il m’en souvienne, la mode m’a toujours émerveillé. Par ses effets de style, bien sûr, dont j’admirais les prodiges pour embellir femmes et hommes de mon entourage, mais aussi par son pouvoir roboratif, que, très tôt, je ressentis comme un puissant catalyseur de confiance. Cette force vitale de la mode n’a jamais cessé de me fasciner, nourrissant ma passion pour la mode plus encore peut-être que ses prouesses créatives. Malgré l’expérience et les années, je continue de m’interroger sur l’origine de cette vertu quasi magique et plus largement sur le sens de la mode comme vecteur d’expression individuelle et terrain de complicité collective.

Las, les intellectuels, trop absorbés par d’autres questions plus essentielles, ne se sont pas beaucoup préoccupés du sujet et leurs trop rares réponses m’ont souvent laissé sur ma faim par la froideur de leur analyse. La presse, dépossédée de tout sens critique et même de son objectivité déontologique à l’égard d’un de ses principaux créanciers, réserve à la mode un traitement au mieux purement informatif, et plus souvent léger, à visée commerciale.

L’envie d’exprimer mes idées longtemps ressassées, mes convictions comme mes doutes, est donc à l’origine de ce site. Puisse-t-elle rencontrer un public lui aussi en proie au questionnement et demandeur de réflexion sur la mode.

Pour autant, il n’est pas question de renoncer ici au plaisir de la mode ! Trois produits, choisis en toute sincérité et scrupuleusement légendés dans l’esprit d’une consommation elle aussi réfléchie, illustrent périodiquement mon goût. Avec passion. Sans déraison.