Du streetwear
Le streetwear, genre vestimentaire issu du registre sportif adapté à la vie urbaine, n’est pas né hier pour habiller les natifs de la fin du deuxième millénaire. Appropriation du sportswear par une population citadine, jeune et populaire, il habilla déjà dans les années 1980 et 1990 des générations d’adolescents en quête de confort et d’un vestiaire identitaire à leur portée. Si sa réapparition dans les collections depuis deux ou trois saisons anime autant les conversations et les médias, c’est qu’un autre enjeu sous-tend ce retour.
Pratiquement, le streetwear n’est ni mieux ni pire qu’un autre style, comme le formel masculin ou le workwear par exemple. Le confort, la liberté de mouvement et la fonctionnalité qu’il apporte méritent même d’être salués comme de réels progrès dans la vêture contemporaine. Son produit emblématique, la sneaker, concentre ces trois vertus en plus d’être – en principe – d’un prix modique et donc accessible à un large public. Longtemps bannie de l’offre d’accessoires, la banane – pochette sanglée à la taille – revient également, forte de la caution de marques réputées pour leur élégance comme Fendi, Dior ou Hermès. Elle est accompagnée d’une kyrielle de petits sacs en bandoulière autour du cou ou en travers du buste qui laissent les mains libres. Les vêtements privilégient l’ampleur, également synonyme d’aisance, et les matières résistantes et d’entretien facile. On peut néanmoins reprocher au streetwear son exiguïté. Décliné dans des tissus et mailles techniques et surtout du coton – beaucoup de coton ! – il se limite à quelques pièces peu propices à la recherche modélistique : en bas le jogging ou le jean ; en haut le teeshirt, le sweatshirt, la parka et l’incontournable casquette vissée sur le crâne à l’intérieur comme à l’extérieur. Contrairement au minimalisme, auquel il ne saurait être assimilé, le streetwear tend à compenser sa simplicité formelle par une propension au décor, aux inscriptions – facilité stylistique peu trompeuse – et aux logos. Pourtant, cette simplicité devrait rimer avec humilité, qualité justement aux antipodes de l’exhibitionnisme vaniteux des logos.
« J’ai beaucoup contribué au développement du streetwear dans le luxe. Mais je trouve que la mode d’aujourd’hui est trop street. On a oublié le design et la sophistication qui sont si importants » – Riccardo Tisci
Mais au-delà du renouvellement qu’il apporte dans les collections féminines comme masculines, le streetwear incarne l’irruption inopinée d’une nouvelle génération de clients et de créateurs jusque dans les tréfonds du cœur de la mode. Si, comme je le rappelais précédemment, le streetwear ne date pas d’hier, il restait jusqu’à présent le monopole de marques spécialisées, pour une clientèle d’inconditionnels. Aujourd’hui, l’appétence des jeunes de tous milieux et toutes origines pour la mode et le luxe, leur rapport décomplexé à l’argent et leur américanisme assumé d’une part et l’insatiable désir de croissance des griffes et leur gestion opportuniste de leurs destinées d’autre part ont changé la donne. Non contentes de vendre leurs produits aux premiers, les secondes les recrutent carrément dans leurs équipes créatives pour mieux conformer leur offre à leurs attentes. D’une logique implacable et d’une efficacité imparable, cette politique prend néanmoins le risque, si elle est trop totalitaire, de se couper de toute une culture et de ses propres racines. Pour éviter cet écueil stérile, les créatifs en question se doivent de posséder une solide culture de mode puisant jusque dans les annales immémoriales du costume et une connaissance approfondie des techniques et des matières, leur permettant de transcender et démultiplier le streetwear en le nourrissant de tout l’héritage de la mode. Ce dont Virgil Abloh semble à mon avis dépourvu, au vu de ses collections pour son label Off White et de son premier opus pour la maison Louis Vuitton. Ce que son confrère Luke Meier maîtrise au contraire avec brio. D’ailleurs, pour sa marque OAMC, il paraît ostensiblement s’éloigner de ses sources. A moins qu’il ne subisse simplement l’influence de sa compagne Lucie Meier – passée par le sérail de la couture – avec laquelle il assure la direction artistique de Jil Sander.
J’ai suffisamment souffert, dans ma jeunesse, de trop peu partager ma passion pour la mode avec mes congénères pour ne pas me réjouir à présent de l’engouement des jeunes pour la mode. Toutefois, je regretterais que cette dernière prenne un tour trop sectaire, qu’elle enferme les classes et les générations dans des styles au lieu de réunir les individus autour d’une passion et de favoriser les échanges en toute tolérance. Le streetwear aujourd’hui, demain autre chose ; là n’est pas le problème. Je fais confiance à la mode pour intégrer l’apport du celui-ci, tirer les bénéfices – pas seulement financiers ! – de son influence et continuer d’évoluer. Mais aux lames de fond qui uniformisent et balaient les différences sur leurs passages, je préfère une mode réellement inclusive, diverse et disponible pour les appropriations les plus particulières. Une mode aussi pour les solitaires.
François Gaillard