L’appel du large
A l’encontre du culte du corps omniprésent dans la société contemporaine, le retour du large interroge. Couvert d’une forme ample, le corps n’apparaît plus qu’au détour de certains mouvements ou à la faveur d’un dévoilement tout en sensualité. Après des années d’un rapprochement progressif, jusqu’à devenir une véritable seconde peau, le vêtement semble bien avoir amorcé son éloignement du corps, même si certaines pièces, comme le pantalon, y restent encore intimement liées. Un tel bouleversement mérite réflexion pour en comprendre et assumer toutes les implications.
Dans le rayon féminin, la révolution a déjà débuté depuis quelques saisons avec les pièces de dessus et les hauts. Chez les hommes, comme toujours, le changement s’opère plus lentement, d’abord parce qu’ils répugnent toujours à voir leur apparence évoluer, d’autant que la mode n’est, pour la plupart, pas une préoccupation majeure. Mais également parce qu’ils ont à leur corps un rapport quasi sacré, qu’ils ont peu à peu consenti à révéler par le truchement d’un vestiaire plus appliqué. Pour l’une comme pour l’autre, l’enjeu est d’accepter une dissolution corporelle dans le vêtement, et par là, une certaine supériorité de ce dernier en tant que projection première de l’image de soi. Caché dans les plis, derrière les fronces et sous l’excédent de matière, le corps se fait simple habitant de l’habit au profit de l’âme qui peut alors investir la parure de ses goûts, sa sensibilité, ses dilections. Alors que j’écris ces lignes, je me rappelle – non sans la nostalgie de mes jeunes années aussi – cette sensation de liberté ressentie il y a plus de trente ans, lors de la première vague d’élargissement de la silhouette. Ce délicieux vertige qui m’enivrait lorsque je sentais les vêtements flotter et effleurer ma peau. Ce lâcher-prise après des années de constriction et d’enfermement.
« Vivre, cela veut dire : rejeter sans cesse loin de soi quelque chose qui tend à mourir » – Friedrich Nietzsche
Car c’est bien une libération, une explosion des sensations et une conscience plus intériorisée du corps aussi, qu’apporte l’oversize, en plus d’être également moins discriminant à l’égard des morphologies imparfaites. Bien sûr, ce changement d’échelle demande une adaptation. Aussi doit-il se faire graduellement, par les pièces de dessus d’abord, la maille dont la souplesse s’accommode bien de cet évasement. Et sans sacrifier le travail de coupe, ni se contenter d’un simple agrandissement. Au contraire, c’est par une construction étudiée qu’il aura les meilleurs effets, éveillera l’attention et évitera l’écueil de l’informité. « Le très près du corps suit la ligne propre de l’individu, sa peau, son énergie intrinsèque ; l’ampleur correspond à un point d’appui ou un sillage, la projection de soi-même à la conquête du monde » résumait, en son temps, le talentueux et perspicace Marc Audibet. Surtout, l’ampleur vestimentaire ne saurait être l’instrument d’une pudeur toujours inopportune lorsqu’il s’agit de bien-être.
Quel plaisir de sentir le corps alors libéré de l’entrave textile, en symbiose avec l’étoffe qui le caresse et réinterprète à distance ses gestes et ses attitudes. Et quelle joie de voir l’esprit reprendre le contrôle de l’apparence et par là de la séduction elle-même. La revanche du charme en quelque sorte, après trop d’années racoleuses.
François Gaillard